Réalités entre-deux
LES OMBRES DE GALATÉE
Scénario de Long-métrage - 90 min
e-dpo SACD n° 000444765
Début 2020, premier confinement. Contraint de travailler seul, Marc, un jeune chercheur logicien, découvre la vie qui anime progressivement sa résidence et décide de mener sur son voisinage une expérience qui alimenterait ses recherches. Mais les rencontres de Pauline, sa belle voisine, et d’un mystérieux jeune homme vivant au-dessus de lui font perdre la raison à Marc et tourner l’expérience au cauchemar.

SYNOPSIS DÉTAILLÉ
Marc, un jeune chercheur âgé de 25 ans, n’a pas toujours été solitaire. Avant de regagner Paris pour écrire une thèse en logique et théorie des sciences, il étudiait au Imperial College de Londres, où vit encore Romain, son meilleur ami, et Aurore, son ex petite-amie, qui étudiaient la physique avec lui. Étudiant fêtard et populaire, il était alors joyeux, avenant et ouvert aux autres. C’est à son retour en France que Marc s’est rapidement refermé sur lui-même, déçu par ses nouveaux camarades de cours qu’il regarde d’un œil mauvais ; après la bienveillance anglaise, il ne voit plus en les étudiants de son université française qu’un caractère hautain, compétitif et malveillant.
Mi craintif, mi exaspéré, Marc s’enferme donc dans ses recherches, dans un quotidien rythmé par ses allers et retours entre l’Université, et son petit studio, où il se tapit pour travailler, cherchant lentement la direction à donner à sa thèse. Sans histoire et muri par cette solitude studieuse, Marc n’a de contact qu’avec Romain, qui lui donne régulièrement des nouvelles de sa vie passée de Londres, et ses parents, vivant également à Paris. Quoiqu’en bon rapport avec eux, Marc conserve cependant une certaine distance avec ses parents qui, n’étant pas scientifiques, sont peu alertes de ses recherches et se tiennent donc pudiquement à distance des travaux rythmant son quotidien.
Les parents de Marc, sa mère particulièrement, se soucient beaucoup de lui. Mais sans pouvoir échanger avec le seul sujet qui lui importe réellement, sa thèse, une distance sereine s’est instaurée entre eux même s’ils prennent régulièrement des nouvelles les uns des autres. Romain demeure donc le seul interlocuteur et confident de Marc. Mais la collocation de Romain avec Aurore est difficile pour Marc ; ne pouvant avoir des nouvelles de Romain sans entendre parler de son ex petite-amie, dont il garde un très douloureux souvenir, Marc est plus encore enjoint à se couper du monde et travailler dur, enfermé dans son petit studio.
Marc est donc un jeune homme studieux qui, rassasié de ses festives années passées à Londres, se satisfait pleinement de l’isolation dans la recherche que lui offre son petit studio parisien, ouvert par de larges fenêtres sur une cour de résidence sans vie. Isolé du monde face à cette cour vide, aux volets tous clos, il trouve toute la sérénité et le calme nécessaires à son travail. Sans grande histoire, à la fois dur, sérieux, sûr de lui et d’un grand calme, il se complaît à s’isoler pour mieux s’ouvrir aux réflexions. Jeune homme sans problème, il jouit de cet isolement, quotidien du chercheur, pour mieux préciser le problème de sa thèse : trouver une logique de l’irréel.
Ainsi isolé au quotidien, l’annonce du confinement ne faisait a priori pas peur à Marc ; il l’accueille avec indifférence, persuadé qu’elle ne changerait rien à ses habitudes. Ses journées se ressemblent, mais la vie de sa résidence connaît un changement radical. D’un œil d’abord absent, il constate l’ouverture soudaine de tous les volets de la cour, qui s’anime d’une vie qu’il ne lui suspectait pas. Confinés, tous ses voisins sortent de leur isolement de la cour, et cherchent à interagir entre eux. Marc n’y prête d’abord aucune attention. Le confinement est une satisfaction pour lui ; il lui facilite la tâche de l’abstraction.
Mais à mesure que son voisinage s’anime, que la cour se transforme, il se laisse perturber par ce qu’il ne voit bientôt plus que comme des interférences à sa concentration. Le calme bienfaisant que lui apportait cette cour silencieuse, vers laquelle il levait les yeux pour réfléchir, se trouve envahi par un voisinage qui se découvre. Les fenêtres s’ouvrent, et la vie qui anime la résidence l’isole plus encore du monde : hermétique aux interactions de ses voisins qui veulent à tout prix sortir de chez eux, il se retrouve plus que jamais cloîtré, isolé des autres et de ses recherches qui s’en retrouvent perturbées. Le soir, les chaleureuses lueurs de ces appartements contrastent avec la froide lumière blanche de son bureau, le renvoyant au chaleureux réconfort des plus simples approches des choses opposées à la froideur que nécessitent les réflexions les plus difficiles.
Une seule fenêtre contraste également avec les autres par les tons froids de ses lumières du soir, par ses rideaux fermés sur la cour, et par le profil de la jeune femme qu’il découvre derrière eux. Juste avant le confinement, il l’avait repérée une fois, par hasard, la voyant pénétrer dans le hall de la résidence depuis sa fenêtre accompagnée d’une autre femme, qu’il confondit un instant avec Aurore. Depuis lors, il avait simplement remarqué sa fenêtre qu’il observait parfois, lorsqu’elle était encore la seule de la résidence à ne pas être masquée par des volets. Mais ce contraste avec les autres foyers s’accentuant avec le confinement, la curiosité de Marc augmente. Il se met à observer la fenêtre de sa belle voisine avec attention, se demandant qui elle est et ce qui fait sa particularité pour ainsi avoir la force ne pas se jeter dans la cour et se sortir à tout prix de chez elle à la manière des autres.
Alors, le rapport de Marc à son voisinage change. Absorbé par la fenêtre de sa mystérieuse voisine, il prend goût à observer les habitudes de tous ses voisins, et une idée lui vient. Un jour qu’il se trouve au téléphone avec son directeur de thèse, il décide de tirer parti de ce voisinage animé d’une nouvelle vie. Voyant la résidence comme un tout clos et les foyers comme des parties composées de ce tout, il décide d’utiliser cet échantillon de vie comme objet d’une expérience pour tester la thèse qu’il souhaite soutenir. Ainsi, la résidence devient l’équivalent d’un système physique, les différents foyers des éléments de ce système, et leurs habitants autant de cellules d’énergie de ce système ; des cellules mouvantes, changeantes, qu’il s’agit alors pour Marc d’étudier pour comprendre les mouvements d’ensemble régissant la société de la résidence.
En tant que scientifique, qu’observateur, Marc choisit alors la distance. Il n’intervient pas, refuse d’être une partie du voisinage, d’être une part de ce moment d’exception, historique, dont on raffole la particularité et que l’on rend atypique par les interactions entre voisins, en tout autre contexte inexistantes. Certains voisins, parfois, cherchent à créer un contact distant avec lui, mais Marc les refuse systématiquement, persuadé qu’entrer dans le système qu’il observe trahirait l’objectivité de son expérience. Au contraire, il met au point un stratagème visant à créer des interactions entre les différents membres du voisinage.
Se procurant un Pass PTT lui permettant d’ouvrir toutes les boites aux lettres de la résidence, Marc envisage de transmettre à chacun d’eux des cadeaux qui viendraient d’autres voisins, créant ainsi une chaine d’échange entre eux visant à modifier les rapports qu’ils entretiennent ; par-là, il cherche à rompre la distance entre les échanges, à faire transformer la bienveillance d’étrangers qui se soutiennent en une intimité de personnes qui partagent réellement quelque chose. Les interactions ainsi changées, dans l’hypothèse de sa thèse, parviendraient à transformer la réalité du système.
Alors qu’il s’affaire à mettre en place cette expérience qu’il dirigerait, à distance, dans le secret de son appartement, l’attrait de Marc pour sa belle voisine grandit. Il guette ses actions invisibles, dissimulées par des rideaux tirés, cherche à comprendre ses habitudes, à deviner ce qu’elle fait, à quoi elle travaille. Rassemblant son courage, il s’arrange finalement pour sortir de chez lui peu après elle afin de croiser son chemin et d’entrer en contact avec elle. Faisant mine de la rencontrer par hasard, Marc se fait donc connaître de Pauline qui, de retour chez elle, entre-ouvre ses rideaux pour observer la fenêtre du jeune homme qui vient de l’aborder.
Pauline est une jeune célibataire d’une trentaine d’année, travaillant comme commerciale dans un grand musée. Travailleuse, rigoureuse, elle règle l’organisation de ses journées à la minute près et ne souffre en aucun cas du confinement. Lors des rares apparitions qu’elle fait à sa fenêtre pour prendre le soleil, elle fait preuve d’un caractère stoïque et d’un air de sagesse impressionnant Marc, qui y découvre une grande beauté.
Après quelques interactions distantes, les échanges de Marc et Pauline évoluent en ligne. Une conversation commence. Ils font rapidement connaissance, et se satisfont tous deux de pouvoir discuter avec quelqu’un qu’ils voient réellement et non, comme pour tout français confiné, par écran interposé. La journée, ils travaillent « ensemble », chacun près de sa fenêtre, se soutenant moralement de leur labeur solitaire en observant l’activité de l’autre.
En Pauline, Marc retrouve sa propre passion pour les mystère et le recul vis-à-vis de ce qu’ils jugent comme les trop communes réactions des autres. Pauline parle à Marc d’un puzzle à solutions multiples dont elle cherche passionnément le motif. Marc, séduit, y voit le reflet de sa propre passion scientifique pour les problèmes les moins solubles. Le soir, Pauline et Marc sont les seuls à ne pas sortir à la fenêtre applaudir le voisinage. Elle s’enferme derrière ses rideaux, concentrée sur ses puzzles dans son appartement sombre illuminé des simples lueurs froides de la télévision, tandis que Marc étudie des formules de logique tout aussi froidement éclairé par la blancheur de son grand bureau.
L’expérience commence. Marc dépose dans certaines boites aux lettres minutieusement choisies de mystérieux colis anonymes, comprenant des indices orientant leurs destinataires vers un potentiel expéditeur au sein même de la résidence. Laissant parler sa passion, il dépose également un poème anonyme accompagné d’une fleur dans la boite aux lettres de Pauline. Sans quitter sa fenêtre, il attend patiemment la réaction de la jeune femme, guettant le hall désert, orné d’une simple réplique de statue grecque, pour être témoin du moment où elle irait chercher son courrier.
Un soir, Pauline apparaît finalement dans le hall. Marc, le souffle court, l’observe s’immobiliser lorsqu’elle découvre le poème et la fleur. Il la regarde, anxieux, absorbée par sa lecture, puis observe ses mystérieux allers-retours, toute la soirée durant, entre le local poubelle et chez elle. A-t-elle jeté la fleur ? le poème ? A-t-elle récupéré l’un des deux après l’avoir jeté ? Sait-elle qu’il en est l’auteur ? En pleine nuit, il inspecte les poubelles avec prudence et y retrouve la fleur, sans parvenir à déchiffrer les réactions de la jeune fille. Dans le poème, il laisse à Pauline une énigme ; des références aux différents cadeaux qu’il envoie aux voisins. La jeune fille étudie le poème, et constate les liens tirés par Marc entre le voisinage. L’énigme, cependant, reste entière pour elle : si elle a bien compris que le poème provient de Marc, les raisons de son énigme restent obscures. Quel rôle entend-il tenir dans tous les rouages qu’il met en place au sein du voisinage ?
Mais alors que Marc pensait avoir construit avec Pauline un échange unique dans la résidence, il découvre qu’elle rit, converse et échange, par la fenêtre, avec quelqu’un d’autre ; son voisin du dessus, qu’il ne connaît pas, et qui du jour au lendemain se fait de plus en plus entendre. Par les conduits d’aération de l’immeuble, il entend sa musique trop forte, ses conversations téléphoniques avec Pauline, qui le plongent dans la jalousie et le ramènent à la solitude de son isolement.
Pour autant, Marc n’interrompt pas ses échanges avec Pauline, qui se font de plus en plus réguliers, intimes. Ils s’appellent, ont de longues conversations en partageant parfois un verre, de loin, ou se regardant simplement par la fenêtre. Marc lui parle des détails de sa thèse, et elle fait preuve d’une compréhension et d’un intérêt inhabituels qui finissent de séduire totalement le jeune homme.
À mesure qu’évoluent les relations de son voisinage et que son expérience prend pied, Marc commence à souligner dans son quotidien quelques incohérences, quelques détails de plus en plus troublant. Il vit certains moments d’absence, oubliant par exemple le premier échange téléphonique qu’il ait eu avec Pauline, et souligne de nombreux « déjà-vus » dans ses observations du voisinages. Fréquemment, il croit revoir certaines scènes bénignes dont il aurait déjà été le témoin plusieurs heures, jours ou semaines auparavant, à quelques différences près. Marc ne prête d’abord que très peu attention à ces anomalies. Mais avec les premières interventions de son voisin dans son quotidien, celles-ci semblent de plus en plus fréquentes, et de plus en plus importantes.
Peu à peu, Marc souligne l’étrangeté de ces anomalies. À mesure qu’il les remarque, elles apparaissent plus fréquentes et plus paradoxales. Les plus notables d’entre elles ont trait à son mystérieux voisin, son concurrent vis-à-vis de Pauline. Il croit reconnaître certaines de ses conversations, comme s’il les reconnaissait ou en savait d’avance l’issue, si bien qu’il finit par se demander si ces anomalies ne sont pas un premier effet de son expérience ; un premier signe de son succès.
Un soir, on sonne à la porte de Marc alors qu’il danse, seul à sa fenêtre, au rythme d’une musique poussée à haut volume. S’attendant à trouver un voisin furieux, il approche de la porte et regarde par le judas, derrière lequel il découvre avec effroi nul autre que lui-même, Marc, qui patiente excédé. Il se souvient alors d’être monté frapper à la porte de son voisin du dessus, quelques jours plus tôt, pour lui demander de baisser le volume.
À cet instant, Marc se rend compte de l’ampleur que prenaient déjà quelques jours auparavant les paradoxes et anomalies qui apparaissaient et se multipliaient dans son quotidien. À la fois fasciné et terrifié par la tournure de son expérience, il reprend ses recherches, corrige frénétiquement ses notes, tentant de saisir la logique de cette manifestation du réel dans laquelle il perd ses repères. Dès lors, les paradoxes se multiplient. Il revit de plus en plus clairement différents moments qui ont déjà eu lieu.
Certains de ses échanges avec Pauline s’enchevêtrent les uns les autres ; il se retrouve à la porte de celle-ci en même temps que chez lui, au téléphone avec elle. Pauline, de son côté (sans noter les paradoxes que Marc, soucieux de son image et craignant de passer pour insensé, s’efforce de lui dissimuler), remarque le changement de comportement du jeune homme. Il lui pose d’étranges question sur le temps, sur leurs échanges, sur les conditions de leur rencontre. Avec elle, il se montre un instant joyeux, avenant, et le suivant perdu, fuyant, apeuré par quelque chose qu’elle ne parvient à saisir.
Pour Pauline, il n’y a pas de distinction entre Marc et son voisin du dessus, qui sont une seule et même personne tandis que pour Marc, l’écart entre lui et lui-même se creuse. Témoin auditif, par le biais des conduits d’aération de son immeuble, de toujours plus nombreuses discussion de son voisin avec Pauline, Marc en vient à chercher à communiquer avec son double. Approchant la tête de la bouche d’aération, il interroge son « lui-même » futur sur l’issue de l’expérience. A-t-il réussi ? L’expérience sera-t-elle un succès ? Que se passera-t-il, finalement, lorsque l’irréel sera devenu la logique de son quotidien ? De l’étage du dessus, un Marc terrorisé, sanglotant, lui répond en hurlant de mettre fin à l’expérience, de tout arrêter. Mais le Marc qui l’interroge ne se rend pas encore compte de la profondeur du gouffre dans lequel l’entrainent les paradoxes qu’il rencontre.
Alors les paradoxes se multiplient. Au téléphone, il revit une conversation qu’il avait eue avec ses parents avant le confinement. Il panique, leur demande de le rappeler précisément deux minutes après avoir raccroché, et l’appel ne lui parvient finalement que plusieurs jours plus tard.
Sentant qu’il perd pied dans le réel, Marc se retrouve sans repère. Il ne sait plus où se situer dans le temps, si bien qu’il en vient à douter de sa propre existence, de l’existence de ce qui l’entoure. Il est au bord de la folie, prêt à sombrer dans une réalité où tous les possibles s’actualisent lorsque sa propre voix lui parvient par les conduits d’aération, provenant de l’étage du dessous, l’interrogeant sur l’issue de son expérience.
Dans un dernier dialogue avec son double, Marc prend alors la décision de s’isoler complètement du monde, de se confiner autant qu’il le peut dans son petit studio pour se détacher de ce temps où il n’a plus aucun repère ; il ferme entièrement ses volets, s’excluant des vies de la cours. Cherchant à retrouver des marqueurs temporels, il se lacère le bras au fer rouge afin de pouvoir suivre l’évolution de sa plaie, et décide de lutter contre le sommeil, un chronomètre défilant devant ses yeux, le plus immobile possible de manière à rompre tout contact avec cette autre réalité de lui-même, perdue dans un espace similaire mais autre, un étage au-dessus de lui.
Les jours passent, et Marc entend encore des échos de lui-même, dans le même appartement cette fois (bruit de chasse d’eau qui se vide, reniflements sonores). Afin de voir tous les recoins de cet espace qui lui échappe, il brise un miroir, et en accroche les morceaux dans tout son studio de manière à ce qu’ils lui reflètent tous les recoins de chaque pièce, qui deviennent visibles depuis son canapé. Marc laisse défiler son chronomètre, patientant, délirant dans sa lutte contre le sommeil et contre l’irréel.
À bout de force, Marc s’endort. Lorsqu’il se réveille, son téléphone est éteint, à cours de batterie. Il ouvre ses volets avec crainte : la cours est revenue à son état d’origine, sans vie ; tous les volets sont clos. Il reprend contact avec Romain, se rend chez ses parents qui s’inquiétaient de son long silence, et entreprend de leur conter le récit de son expérience.
Ses repères dans l’espace et le temps sont retrouvés. L’expérience et le confinement ont pris fin pendant son isolement total. Mais Marc en reste inexpressif, dépité. Déambulant comme une ombre dans les rues, il observe la ville reprendre son cours avec tristesse et distance. Les volets de Pauline sont clos ; dans son téléphone, aucun contact à son nom. Aucune trace de leurs échanges.
Lorsqu’il regagne la résidence, Marc constate que le nom figurant sur la boîte aux lettres de Pauline est celui d’une inconnue. Il s’en approche, intrigué, lorsque la jeune femme entre dans le hall et ouvre la boîte sans le voir, comme s’il n’était pas là. Elle sort de la boîte aux lettres le paquet du puzzle qu’elle s’appliquait à résoudre pendant le confinement. Au même moment, dans son appartement, Pauline pose la dernière pièce du même puzzle. On découvre alors que le motif n’est autre que celui d’un dessin que l’on aura vu encadré sur le bureau de Marc, au dos duquel est inscrit de la main d’Aurore un mot d’adieu.
Marc, contemplant la réplique de statue grecque qui orne le hall, comprend alors que Pauline n’est réelle qu’en son imagination ; une Galatée calquée sur le souvenir d’Aurore, qu’il a cru voir vivre, perdu dans ses recherches solitaire. Et pendant que Marc demeure interdit face aux volets clos de la résidence, dans l’appartement de Pauline, une jeune femme place à nouveau les premières pièces du puzzle, qu’elle vient de terminer et de sortir de sa boite, sur une table rase.

NOTE D'INTENTION
Les ombres de Galatée est une expression de maintes formes de l’isolement ; l’isolement du confiné, l’isolement au sein d’un groupe, d’une société, mais aussi l’isolement du chercheur tentant de questionner les évidences, et la perdition dans la solitude de ceux qui entrevoient parfois d’autres conceptions du réel, de ce qu’est la réalité. C’est l’isolement de la fenêtre de Marc, éclairée chaque soir d’une lueur vive, blanche, aveuglante, contrastant avec les ombres chinoises de ses voisins sur fonds de fenêtre aux chaleureux éclairages : l’assurance du groupe qui se retrouve et s’acclame confrontée à la lumière aveuglante de celui qui cherche à comprendre.
Cette histoire est née de la frustration de ne parfois parvenir à voir plus loin que la réalité de ce qui est — la frustration de constater un paradoxe, d’être aveuglé par son éclairement ; celui de comprendre que la réalité du monde est construite par l’homme (la communauté scientifique), mais qu’elle ne peut être construite par un homme (l’individu artiste).
C’est donc un récit de l’isolement, qui repose sur une analogie entre un système physique isolé et un groupe social isolé (un individu, un foyer, une résidence…), analogie articulée autour de la métaphore des boîtes aux lettres représentant chaque foyer, que le personnage principal tente d’utiliser pour faire interagir les différents éléments isolés (les différentes parties de l’analogie).
Le problème que l’on retrouve dérivé dans tous les thèmes abordés par Les ombres de Galatée (dans les différentes parts de l’analogie) n’est autre que celui que se pose Marc pour sa thèse : « comment composer le réel comme un rêve ? ». Ou, autrement dit ; comment parvenir à choisir ce que l’on vit ? Question déterminante pour la construction de toute vie qui cherche à s’affirmer par sa liberté de faire des choix, et question d’autant plus cruciale du point de vue du français de 2020 confiné, enfermé, en quête de liberté. La difficulté, alors, est bien-sûr (c’est du moins ce que veut laisser entendre le dénouement) celle de la juste mesure ; réussir à trouver le bon rapport entre ce qui dépend de nous et ce qui dépend des autres pour constituer notre rapport à la réalité que l’on partage avec eux.
Dans Les ombres de Galatée, dont le titre réfère au mythe grec de Pygmalion et Galatée, c’est le confinement de Marc (figure de Pygmalion) qui fait de Pauline sa Galatée ; elle est un fantasme qu’il croit réel, comme une statue (sa création) soudainement mue par la vie. Mais cette Galatée est également dans l’expérience qu’il mène auprès de son voisinage, dans son rapport à ses recherches : voulant pousser les limites de la logique, les limites du réel, voulant tisser des liens qui n’existent pas entre les choses, il sombre progressivement dans la confusion et l’incompréhension de tout ce qui l’entoure lorsqu’il se confronte aux zones d’ombre de ses ambitions — de ses rêves — et ne sait plus distinguer ce qui est sa perception des choses ou la réalité. Alors il perd la notion du temps, de l’espace, de la causalité. Il perd même pied dans ce qu’il fait, ne sachant plus si les paradoxes spatiaux-temporels qu’il rencontre trahissent le succès de son expérience ou bien la folie qui accompagne son échec.
Ma principale difficulté lors de l’écriture des ombres de Galatée résidait dans la tentative d’exprimer une position scientifique très précise et controversée sans pour autant avoir à me restreindre à un public exclusivement scientifique. Dès lors, j’ai cherché à proposer différents niveaux de lecture possibles de mon histoire ; on peut soit décider de se concentrer sur les propos scientifiques et trouver l’expression métaphorique de leurs principaux problèmes tout au long du récit, soit décider de se concentrer sur les observations, actions et interactions entre Marc, Pauline et les différents personnages, et choisir d’y voir une intrigue strictement psychologique exprimant les difficultés de Marc liées à son isolement — des autres et de la réalité — et provenant en partie d’une quête scientifique si ambitieuse qu’elle bouscule jusqu’à sa raison.
Mon ambition à ce sujet était donc de surmonter l’extrême difficulté de toute fiction traitant d’un aspect précis de la science : celle de plaire à la fois au scientifique et au néophyte sans bagage approfondi dans la discipline dont on choisit de lui parler. Par ces diverses dimensions de lecture, j’ose ainsi espérer qu’un public averti se trouvera tant satisfait que questionné par la rigueur du propos scientifique, et qu’un public décidant de laisser de côté la complexité des termes scientifiques pourra retrouver dans les différentes métaphores (des boîtes aux lettres, du puzzle, de Pauline, de Marc 2, etc…) non seulement ses propres difficultés lors du confinement, ses malaises lors d’interactions avec les autres, ses rêves, ses craintes et ses doutes en amour ou en société, mais également qu’il pourra se laisser aller à diverses interprétations sur les réactions de Marc face à son isolement, et trouver dans la difficulté de l’expérience scientifique qu’il mène une cause de ses maux exprimés par sa perte de tout repère dans la réalité.
Du point de vue strictement physique, cela dit, la position que je cherche à soutenir par le biais de l’analogie et de la thèse de Marc repose sur un postulat épistémologique fort (dont je me suis assuré de simplifier les difficultés tout en gardant une rigueur scientifique en consultant plusieurs universitaires et physiciens théoriciens). Elle s’inspire de l’interprétation d’Einstein et de Schrödinger du débat de Copenhague, dans les années 1930, sur l’interprétation de la physique quantique. En un mot, la position soutenue consiste à dire qu’il n’y a pas de réalité physique sous-jacente aux théories scientifiques qui les expriment, mais que c’est au contraire l’évolution des théories scientifiques qui détermine la réalité physique de la nature.
Que l’on décide de l’expliquer par la solution psychologique ou par celle de la recherche scientifique de Marc, le but des ombres de Galatée est donc d’explorer les différentes problématiques liées à l’isolement vécu par le personnage principal : l’ambition, la jalousie, le fantasme et sa folie, confondant réalité et désir (social), réalité et intention (scientifique). Elle révèle une histoire de l’isolement vécu comme une curiosité insatiable, insatisfaite, que l’on peut résumer en une forme duelle :
- L’isolement du scientifique sortant des clous, des limites de sa science.
- L’isolement dans lequel plonge le rêveur par le fantasme d’une rencontre.
Et finalement, dans cette dualité de l’isolement de Marc, le public retrouvera les trois plus grandes formes de solitude que l’on se découvre tous un jour :
• La solitude de celui qui est entouré ou seul (solitude du voisinage qui tente vainement l’interaction)
• La solitude du chercheur se demandant réellement ce qui est (l’impossible question de toute science)
• La solitude de l’amoureux qui rêve les jouissances d’une rencontre qui ne viendra pas.
Passant moi-même par ces trois formes de solitudes lors de mon confinement, j’ai cherché à leur trouver un point commun, qui m’a donné le cœur du propos exprimé par Les ombres de Galatée. Un unique problème, si lourd et universel qu’il peut être ressenti sans être nécessairement formulé ni même théoriquement compris.
Par l’expression de ces trois formes de solitude, j’ai cherché à montrer qu’en tous les domaines, la réalité n’est rien sans le prisme des fantasmes, croyances ou tendances qui nous la fait voir, et nous donne ce point de vue sur la réalité qui est uniquement le nôtre. Il s’agit par cette histoire, en somme, de montrer que la réalité elle-même n’est rien sans la fiction — de montrer que la croyance au réel n’est autre qu’une de ces vérités dont parle Nietzsche : « des fictions dont on a oublié qu’elles le sont ». En un mot, Les ombres de Galatée propose un questionnement sur l’ancestrale question de la dualité entre fiction et réalité, entre croyance et vérité, entre mythologie et science.
Le confinement, par chance, se trouva être le contexte parfait pour exprimer cette prise de parti épistémologique concernant cette question de la dualité entre fiction et réalité étendue ici au réel lui-même : car le voisinage de Marc ne commence à exister comme société que lorsque la contrainte oblige les membres de ce voisinage à ouvrir ses volets sur la cour de la résidence. Le voisinage existait bien avant le confinement, mais pas pour les différents membres qui le composent, et qui le font passer au début du récit d’une existence morte, seulement là mais masquée à tous, à un ensemble bien vivant : il n’existait que comme mythe, et un besoin de liberté, de sociabilité, l’a fait réalité. Marc, en revanche, vit cette ouverture de tous les volets de manière inverse : pour lui, solitaire aux volets toujours ouverts sur une cour close (solitaire aux yeux tournés vers un monde fermé sur lui-même), la réalité des autres était l’enfermement, et l’ouverture des volets, l’apparition du voisinage, a transformé sa résidence puis sa vie elle-même en une vaste fiction.
Ainsi, le confinement en lui-même donne un exemple de cette forme de création de réalité que je cherche à exprimer dans Les ombres de Galatée : le voisinage n’existait que potentiellement (réalité inconnue, ou du moins aux potentiels inconnus de tous) avant que les volets s’ouvrent sur lui et le rendent réel, effectif, comme autant d’yeux s’ouvrant sur une forme de réalité un beau jour pointée du doigt et qui se présente, dès lors, comme tout ce qui est.
Les ombres de Galatée raconte la difficulté de quelqu’un qui est l’autre d’un monde fermé sur lui-même. La difficulté de quelqu’un qui s’ouvre à la compréhension d’un monde énigmatique comme il ouvre en grand ses fenêtres sur une cour de volets clos. La difficulté de quelqu’un découvrant soudain que le monde s’ouvre plein d’espoir, mais bien pour l’enfermer malgré lui dans un malaise et une crainte que l’on se refuse de voir, que l’on rejette comme on rejette l’incompréhensible, l’illogique, l’irréel, le fantasmé.

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