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DANSER CONTRE L'UNIQUE

Retour sur notre temps vécu, long et court, dont ce chant murmure le cycle sans détour.

Janvier 2018

          Contre l’unique, j’avançais dans les allées sombres du palais de mes songes. Parfois, rencontrant ces couloirs plus obscurs que bien d’autres siégeaient forces contre l’espoir, je courais, plus vite qu’un faon fardé de sa frayeur, fanfaronnant vers mes volitions, comme s’y appliquait l’oiseau de proie qui, plongeant de nulle part, goûtait ce qu’il s’apprêtait à tenir. Moins rapide que ce rapace, qui aucunement ne peinait à fouler son désir, pourtant, je restais malgré ma course à distance du multiple, et demeurais invariablement un.

     Alors je ralentissais en contemplant l’absence de lumière, les bras tendus vers l’invisible, plongeant dans les mystères encore inatteignables dont regorgeaient cet infini océan de silence. Lorsque je me retournais pour contempler mes pas « [,] » aucune ombre ne m’offrait en lecture mon passage — j’en regrettais l’entrée au château. Plage longue, vent doux et écume scintillante m’accueillaient jadis, très loin d’ici, avec la bienveillance des bras ouverts que le meilleur hôte gardait à ses invités de prestige. Nous vivions paisibles, mon innocence et moi-même, aveuglés par les reposantes chaleurs du grand ciel bleu, ce drap doucereux sans cesse dérobé à nos vains espoirs par quelque nuage terne, grisaillant, ou d’une blancheur maladive.

     Plus solide qu’un roc, pourtant, mon unité refusait de s’effriter, s’écrouler lentement, jusqu’à couler d’elle-même en un lent fil de sablier — pluie d’atomes — le temps d’un retour à soi — tant long que court. Alors je retrouvais les déboires de mes déambulations dans les mille pièces en mille, noir d’un cœur grossi et carbonisé par sa flamme, l’œil teinté de gris nébuleux, en quête de l’introuvable — qu’un regard bien plus profond sur ces maux obscurs allait cependant découvrir, sans qu’avant de l’entrevoir, je ne me doutasse de la présence de son ombre « [.] »


––––


          Je l’admettais alors le temps d’un instant. Mon Unité refusait de me quitter ; l’ingéniosité devait être ce qui l’entrainerait à fuir. Nous étions seuls, à l’orée des mille pièces en mille. Mon unité et moi-même — étions-nous déjà de trop pour ce monologue ? — nous y formions déjà depuis longtemps : parmi mille caves, se trouvait heureusement mille salles d’armes, où notre unité s’était formée à l’advertance.

     Nous montions là « [,] » Unité et moi, plus unis par l’émoi d’une telle épreuve que par nos visibles accointances, afin de nous détourner des enfants que notre personne formait en accord avec son ombre. Unité, chancelante sous les poids instructeurs de mon fleuret, s’écartait toujours plus d’une idée fondamentale ; la sienne. Malgré les coups de ma lame, l’harmonieuse face à moi conservait son infaillible droiture, fière comme une once ayant déjà bondi d’une vivacité balayant toute résistance.

     Mais derrière les traits de cette rivalité profonde « [,] » masque de vicissitudes si dangereuses et lointaines qu’Unité refusait d’offrir à la vue de tous, reposait le grouillement du multiple, murmure d’une mélodie incessante qu’Unité et moi admirions sans le dire — elle pour que son courroux résiste, moi, par ma crainte rendu laxiste. Ce couplet chaleureux, cette ombre retirée, cette empreinte fauve d’un feu-follet sur un fond noir profond était ce fil arrêté du sablier immobile marquant le rythme de ma patience, sifflé par la nymphe Écho entre deux murs des mille pièces en mille.

     Alors je parcourais les salles, vers ce chant mirant, par ses ondulations voluptueuses, les boucles du chemin m’éloignant d’Unité pour m’emmener près de moi-même, dans ces profondeurs du château où nos rêves mélodieux, habituellement si obscurs, réchauffaient toutes les hautes chambres de leurs vapeurs lucides. Dans ces brasiers lumineux crépitaient nos bois verts, encore cerclés de nos écorces enfantines qui, du temps où de plus gros arbres qu’eux leur masquait la forêt, accueillaient les plumages des plus belles créatures, et craquaient maintenant dans une dernière complainte, lointainement similaire aux clapotements lourds des derniers moments d’une pluie « [.] »


––––


          Danserons-nous, contre l’unique, sur cet air victorieux vibrant depuis nos toutes profondeurs ? Depuis les plus hautes salles de nos palais royaux, danserons- nous les sourires de ceux qui ne voyaient leurs joies, du fond de ces puits, où appelaient leurs craintes hurlantes ? Danserons -nous tous notre propre tournoiement sur nous-mêmes ? Danserons-nous, multiples valseurs sur deux seuls pieds, le triomphe amoureux d’avoir vaincu notre grande Pitié, son vassal la Crainte, ainsi que les fidèles de leur molle religion ? Danserons-nous en cérémonieuses processions,  pour nous souvenir de cet immense jour où la déesse Unité les libérera de sa vue aveuglante, en déposant sur ses cheveux d’or un voile de satin bleu « [—] » comme un long soupir dans l’air du ciel — recouvrant cette beauté vile d’un brin d’invisible ?...

     Et si nous dansons assez pour que le jour conclue nos pas en embrassant l’horizon, alors nous chanterons jusqu’à son retour. Nous chanterons à mille voix ce que la nôtre lamentait autrefois sans jamais s’embellir de la perfection d’accords « [,] » et nous porterons haut et fort le résonnement apaisé — au plus creux, en nos poitrines vibrantes — de ces anciennes lamentations. Nous chanterons l’envol des mille pétales d’une rose dans mille pièces en mille, de retour chez elle après l’errance, enfin maîtresse de son palais éclairé. Mais sera-t-elle seulement encore rose « [?] » On ne verra plus que pétales « [...] »

Danser contre l'unique: Texte

Où l’oiseau peinait en silence, Plage gardait ce roc d’un noir profond.
Nous y montions, enfants d’une once, et admirions cette patiente mirant nos verts plumages.
Danserons-nous son jour — comme le nôtre, en retour ?...

Danser contre l'unique: Texte

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