top of page

L'ÉVIDENCE

Septembre 2019

          Dans le langage vernaculaire, l’évidence caractérise ce qui, dans une approche subjective, se présente comme « allant de soi », de manière indubitable. Que ce soit à propos des données d’observation reçues des sens ou des informations issues d’un raisonnement, l’évidence est ce qui implique l’immédiateté de l’assentiment ; ce dont on ne peut pas ou plus douter.

     Ce qui est dit évident, en ce sens métonymique, est ce qui se voit — l’étymologie latine, evidens, evidentis, evidentia, caractérise en effet la visibilité de quelque chose, au sens de ce qui est clair et manifeste chez Cicéron, et plus tard, chez Pline, de ce qui est simplement visible —, ce qui se présente à nous de manière si claire et distincte que la présence même de l’objet visé ne peut être remise en cause, et manifeste la nécessité de reconnaître le caractère indubitable du fait que l’objet est là (il saute aux yeux). Cette mise en présence, cependant, nous permet de souligner que l’évidence se réfère à une indubitabilité relative, dans la mesure où elle est toujours l’évidence de quelque chose (un objet, physique ou réflexif) mise en présence d’autre chose ; un corps constatant la proximité d’un objet par ses sens, ou une conscience mise face à la nécessité d’une vérité.

     Ces premières observations nous permettent de préciser quelques aspects du concept d’évidence. Tout d’abord, si l’évidence décrit un état de caractère d’une conscience par rapport à une vérité quelconque (idéelle, ou sur la réalité physique), notons qu’elle ne décrit pas ce qui est vrai, mais seulement l’état d’une confrontation entre une conscience et quelque chose dont on cherche à connaître certaines propriétés avec certitude (pour ne pas dire « dont on aimerait connaître la vérité »). Transitive et relative, l’évidence se manifeste donc toujours pour faire état d’un accord trouvé entre la conscience pour laquelle une chose est ou devient évidente, et les informations (non les propriétés) dont dispose cette conscience à propos de cette chose qui est l’objet de l’évidence : l’évidence n’est ainsi ni un état de conscience, ni l’expression d’une vérité, mais la manifestation passagère d’une décision entre les éléments constitutifs d’un doute, et la certitude qui découle de cette constatation de l’évidence — et non de la vérité même de ce qui fait objet d’évidence.

     Il convient par ailleurs de spécifier les deux principaux sens accordés au concept d’évidence. Le premier est celui des évidences immédiates, consistant en l’acceptation spontanée et irréfléchie d’un état de choses déterminé ou d’une vérité particulière (comme les évidences tirées des données sensorielles). Le second sens, plus fort, est celui des évidences que nous appellerons terminales, obtenues par le raisonnement et dépassant le stade dubitatif de l’incertitude pour donner un assentiment dont la nécessité paraît dès lors absolue — évidence en tant que preuve, alors, comme le suggère le terme anglais d’« evidence ». Dans ce second sens, l’objet d’une évidence immédiate est interrogé, souvent infirmé, jusqu’à ce qu’une nouvelle évidence vienne contredire la première et la remplace ; en tant qu’elle tend à établir plus distinctement la nature de ce qui se manifestait dans une évidence immédiate, l’évidence terminale vient donc contredire l’évidence immédiate — l’évidence contredit l’évidence.

     Dès lors, si la tendance première de l’évidence est d’impliquer une certaine adhésion à la vérité d’une proposition ou la réalité d’un objet visé, c’est-à-dire à l’objectivité de son état ontologique indépendamment de nous, essayons de voir dans quelle mesure les successives constructions et déconstructions de l’évidence lui permettent ou non de se trouver justifiée en tant même qu’évidence. Il s’agira en d’autres termes, à partir de l’étude de ses états de construction, d’évaluer la validité de l’évidence en tant qu’évidence ; de voir ce que peut être une évidence qui se construit et se déconstruit elle-même.

     Dans un premier temps, nous nous pencherons sur les mécanismes de constitution de l’évidence immédiate. En nous concentrant sur les données sensorielles et l’imagination à son œuvre, nous verrons comment l’évidence immédiate est en premier lieu une construction permettant l’établissement d’une certaine stabilité, notamment dans l’ordre social. De là, nous spécifierons notre enquête en étudiant le rôle de l’évidence pour la conscience subjective, en précisant le lien entre évidence immédiate et évidence terminale pour l’individu. Cela nous permettra enfin de considérer l’utilité philosophique de ce concept fluctuant de l’évidence considérée dans le contexte plus large de la recherche de stabilité que constitue la quête de certitude ; il s’agira alors d’interroger la valeur de l’évidence comme fiction régulatrice et son utilité, en tant que telle, pour la constitution d’une connaissance.


[...]

L'évidence: Texte

LIRE LA SUITE :

L'évidence (7 p.)

L'évidence: Fichiers

QU'EN PENSEZ-VOUS ?

Votre avis

Merci pour votre envoi !

L'évidence: Formulaire de commentaires
  • LinkedIn
  • Facebook

© Rémi Kuntz — 2022.

bottom of page