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LE CHÂTEAU AUX

MILLE PIÈCES EN MILLE

 Comprends le mystère de ma danse nocturne. Et pour sentir résonner mes douze pas, tu aimeras les douze enjambées de « La seconde chanson à danser »... —.

Février 2018

     Humain, écoute ! Un trèfle frémit dans la brume qui clôt le jour. La nuit tombe : chien et loups jouent au clair d’une lune absente. L’heure vient, et elle me demande en songes : Que dit Minuit de sa voix grave ? Colibri esseulé, s’éloigne à tire d’ailes une dernière vapeur planante de l’ancien jour, perdu dans l’agitation des pourceaux effrayés de leur assoupissement. Le grand homme allait prendre la parole. Mais il était déjà bien tard — J’étais plongé dans le sommeil ; aux derniers hurlements des loups sombres, j’émergeai d’un rêve profond : — longues et intempestives, mes rêveries me jouaient des tours… jambes raidies, dos endoloris, je me levai finalement pour accueillir la grandeur de l’heure zéro des nuits noires. Le colosse nocturne se tenait devant moi, la tête dans les nuages infinis — car l’univers est profond, profond, jambes tendues même, on ne l’atteint qu’à peine. Et la nuit semble souffrir de cette démesure « [,] » plus que le Jour ne l’imagine. Au point que le colosse nocturne m’écrase l’esprit de sa profondeur. Sa figure se tort au dernier hululement annonçant la grande heure. Profonde, certes, est sa douleurbord de rivière, tapis de mousse ; un lit bordé par l’écume lui soupire à l’oreille ses tintements purs qui rassurent. Mais plus profonde encore sa joie. De cette infinité, il tire le plaisir de se voir chaque jour devenir nuit. La douleur dit : « Passe et péris ! » L’eau des rapides, parfois, semble vouloir lui dicter sa chute. Mais la joie veut l’éternité ! Attendait -il d’être infini pour découvrir l’impatience de vivre ? Le colosse univers est toujours plus profond ; profond de tristesses — profondes tristesses —, qui sont puit sans trop de fond vers leurs joies. Et l’écume lui chante de continuer vers lui-même, tandis qu’une hulotte me lit son manège : « la superficie ; il veut la profondeur — Veut la profonde éternité ! » L’horizon infini de la nuit — infiniment noir, encerclant infiniment, comme la ronde des étoiles que l’on peut contempler lorsque par une nuit sans lune, on se prend à danser, et tourner, les bras écartés, tourner sur soi-même « [.] »



     T’ai-je déjà parlé des châteaux aux mille pièces en mille, toujours présents mais que l’on ne sait plus voir ? Humain, écoute ! Jour et nuit ne font qu’un dans ces palais où l’on ne rêve jamais éveillé. « Humain, laisse la nuit que tu crains te parler. Que dit Minuit de sa voix grave ? Viendrait -elle te rendre plus sage ? » me répétait la petite sœur du crépuscule peu avant son départ. Alors je dormais « [,] », la tête penchée sur l’épaule veloutée de la nuit lorsque celle-ci me présenta à la superbe de ces châteaux que j’entendis avant de voir. J’étais plongé dans le sommeil ; chantaient -ils d’une seule voix, ou racontaient-ils les différentes vies qu’ils avaient employées pour creuser de sagesse leurs longues douves ? La nuit me caressait la joue, d’un gant de cette pourpre si particulière des pays nocturnes, tandis que j’émergeai d’un rêve profond : — ses doigts de fée s’écartèrent alors de mon visage pour me présenter ses pairs : douze palais, portes sombres béantes, étaient prêts à m’accueillir. « Comment choisir ? » demandai-je à la nuit. « L’univers est profond, profond, songes –y. Mais moins que ce que tu trouveras derrière ces portes. Cueille ton fruit de la nuit, enfant. En ma compagnie « [,] » ta passion n’aura plus raison de toi ; elle t’est importante hors du jour, plus que le Jour ne l’imagine. aller ? Songes que la voix de tes rêves est la richesse de tes choix, et va ». Alors, d’un regard bienveillant, je déclinais l’offre d’un premier lieu pour mes vagues à l’âme. Celui qui a trop de choix ou trop peu, profonde, certes, est sa douleurl’écume des possibles se démultiplie quand, du sommet, il dégringole la vague : où aller ? il est las ; reste là — mais plus profonde encore sa joie. « Lui faire confiance… » me dis-je.  L’écume des possibles, rapidement se glisse entre le sable des châteaux qui s’effondrent dans un sourire quand je les écarte à leur tour. Face au dernier, je m’avance. Il ne reste que les douves à franchir, mais l’effort est grand. En perspectives, la douleur dit : « Passe et péris ! » Remplacerait -elle l’ardeur de ma joie ? Lui laissant un instant le plaisir de me faire du tort, je finis par rétorquer : « Mais la joie veut l’éternité ! » Par folie, sans doute, je m’élançais comme un pénitent vers ce gouffre de sagesse. Mais il n’y eut pas de chute. Mon pied se posa sur le sol intérieur du palais, qui me dit, refermant sa lourde porte sur mon passage : « lui, qui a ce qu’il décide, ne trouve pas la joie dans ce qu’il a, mais la déambulation dans les méandres, de sa joie, qui — comme il la veut — veut la profonde éternité ! » Force est de constater que j’occupe encore ce château unique, aux escaliers aussi nombreux que je pouvais rêver de possibles. Seul, maintenant, alors qu’ils étaient Douze ! L’espoir d’une mort incertaine des désirs à venir « [;] » voilà ce que m’apprirent ces châteaux aux mille pièces en mille.



     Humain, écoute ! Viendra bientôt à toi la longue complainte du silence, criant son nom d’une voix sourde. Une chauve-souris émerge de la bouche qui s’entrouvre sur la noirceur infinie du gosier de la nuit. Nuit vaste ? Nuit profonde ? Elle est gouffre quand le noir est craint, étendue lorsque l’on sait écouter les beautés d’elle-même qu’elle nous offre, par la voix de son souffle silencieux. C’est dans son inconnu caractère que réside les plus grandes étendues de sa profondeur ; elle est une voie lactée que l’on effleure des pas de nos songes. « L’univers est profond, profond, » viendrait glisser, dit-on, l’oiseau aveugle aux oreilles attentives de ceux qui se mettent en route vers l’invisible. Tandis que le premier se pose, ses deux sœurs émergent à leur tour du noir. Dans un souffle d’air, les filles de Mynias apparaissent dévoilées. De mon côté, j’émergeai d’un rêve profond : — mais aucune torpeur ne pouvait plus m’éveiller du bonheur né de l’apparition des trois femmes, que la main gantée du colosse Minuit avait déposées devant moi. Contrairement à elles, il avait accès à un nombre fou de châteaux de l’imaginaire. Plus que le jour ne l’imagine. Il était, dans sa profondeur, la part sombres des rêves qui hantent de leurs mystères les mille pièces en mille. Ainsi le colosse, par sa dextérité à se faufiler entre mille pierres des mille murs, avait permis aux trois sœurs de me retrouver au milieu de mes mille lieux palatiaux. Et avant de confier leur beauté à mon bon jour, il leur murmura un dernier conseil. Que dit Minuit de sa voix grave ? Le seul mot qui vaille veille ; Devenir. Les filles de Mynias, après s’être inclinées devant la sage parole se retournèrent, et quittèrent le refuge de leur protecteur pour gagner la petite lumière qui éclairait mes songes dans les grandes salles du palais. Minuit, silencieux, regarde encore leur pas s’éloigner — Profonde, certes, est sa douleurà chaque lever de Lune. Elles vinrent à moi, et offrirent de me tisser un manteau de nuit si je voulais bien éteindre les yeux de ma lumière, espionne du jour, pour ne pas accabler les songes des mille pièces en mille de mon regard. Je me dis que j’étais plongé dans le sommeil ; jour « [—] » et nuit n’étaient-ils pas les premiers parents de l’Androgyne ? Mais les trois sœurs attendaient ma réponse, dans le silence du colosse. « Je leur cause douleur, me dis-je, en valsant d’un pied sur l’autre avec mon ombre, que tuerait un manteau de nuit. Profonde est cette ombre ; profondes sont ses torsions sur les mille marbrures des mille pièces en mille, mais plus profonde encore sa joie. Son sourire aux voluptueux ombrages vaut bien les plus belles promesses d’une nuit sans Lune, où notre seule danse serait celle d’un sommeil immobile ». Je déclinais leur offre. « Soit, dit l’ainée vexée, en s’avançant d’un pas. Alors saches que ce n’est pas avec ton ombre que tu danses, mais un grand Roitelet ». Et, récupérant ses longues oreilles ainsi que ses ailes, elle s’évanouit dans les profondeurs de nuit. La seconde s’avança alors, et par sa bouche, la douleur dit : « Passe et péris ! » Tour étant sien, la plus jeune s’avança tandis que la précédente prenait son envol : « Danse, humain ! Danse, avant que l’amour pour ton partenaire ne te brise les chevilles ». Et elle partit. « Peu importe ! lançai-je à la nuit. Je préfère les petites oreilles ». Mon ombre éclairée me salua en me tendant son aile de Roitelet pour retourner danser. Avait-elle tout entendu « [?] » Je me levais et, en spectacle pour mes songes, me remis à danser « [] »

Le château aux mille pièces en mille: Texte

Un colibri aux longues jambes, au bord de l’eau attendait l’horizon.

Jour viendrait, chantaient ses songes, où l’écume lui remplacerait par force l’espoir ;

Viendra le jour — mais viendrait-il à son tour ?...

Le château aux mille pièces en mille: Texte

Un !

Humain, écoute ! 

Deux ! 

Que dit Minuit de sa voix grave ?

Trois ! 

"J'étais plongé dans le sommeil ;

Quatre ! 

J'émergeai d'un rêve profond : —

Cinq ! 

L'univers est profond, profond,

Six !

Plus que le Jour ne l'imagine.

Sept ! 

Profonde, certes, est sa douleur —

Huit !

Mais plus profonde encor sa joie.

Neuf !

La douleur dit : "Passe et péris !"

Dix !

Mais la joie veut l'éternité !

Onze !

— veut la profonde éternité !"

Douze !

F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, III, "Les sept sceaux", §3.

Le château aux mille pièces en mille: Texte

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