top of page
Réalités entre-deux

LES BANCS DU CONFITEOR
Tertium Datur (2/3)
Les bancs du Confiteor: Image
Le souffle court, Marc posa pied à terre dans la cour du Louvre, le visage tourné vers les dernières lumières donnant ombres à la pyramide. Il respirait à grand peine. Mais entre deux pénibles déglutitions lui plissant les yeux pour reprendre haleine, il entendit une voix familière qui l’appelait du sud de la cour. Les mains sur les hanches, debout à côté de son vélo qu’il avait jeté à terre, Marc tourna la tête en direction du bruit, à l’origine duquel il aperçut son jeune cousin, tout sourire, qui approchait à grands pas :
« Marc ! s’exclama-t-il. Ça va ? Qu’est-ce tu fais ici à une heure pareille ?
– Salut, cousin. Je peux te poser la même question… répondit Marc avec peine en posant une main sur l’épaule du jeune homme qui l’ébranlait d’une franche accolade.
– Je buvais un coup ou deux avec des amis, pas loin, mais je les ai laissés. J’étais sur le chemin du retour (je préférais rentrer à pieds plutôt que de m’enterrer dans les transports), et je t’ai vu arriver en trombes dans la cour, avant de t’arrêter aussi sec ! Mais toi ? Qu’est-ce que tu fais là ?
– J’étais avec quelques amis, aussi, mentit le jeune homme. Mais il faisait bon, je me sentais bien, alors j’ai décidé d’avancer un peu plus loin avant de rentrer chez moi.
– Oui… L’air est bon ce soir, dit le cousin en levant la tête vers le ciel étoilé. Viens ! Marchons un instant ».
Marc accrocha son vélo à une barrière et suivit son cousin dans la cour du palais désert. Ils contournèrent la pyramide en s’enquérant de leurs temps passés, progressant à pas lents jusqu’à la cour carrée dans laquelle ils s’engouffrèrent solennellement. La porte du mur d’enceinte passée ils s’arrêtèrent, bouche bée, pour contempler le nouveau monde qu’ils venaient de rejoindre.
Sous le ciel de cette cour qui n’en était plus une s’étendaient à perte de vue les remparts d’un palais inconnu. Se retournant d’un seul mouvement afin de retrouver quelque lien avec eux-mêmes, ils ne découvrirent qu’un épais brouillard s’alourdissant rapidement sur l’ouverture de la grande porte, qui n’était plus qu’une immense voûte en ruines dont les dernières pierres menaçaient de céder sous l’impalpable poids de lustres innombrables à la moindre tentative de retour qu’entreprendraient les deux cousins.
« C’est à voix basse qu’on enchante… » chanta la nuit dans un murmure que Marc crut d’abord avoir imaginé.
La longue muraille, qui avait également subi les méfaits d’un âge quelconque, était bordée par une douve ayant été laissée à l’abandon depuis un temps suffisamment long pour que son lit s’affaisse en un discret quoique profond fossé, entièrement recouvert d’une abondante et grasse pelouse. Seuls, contre les rocs polis par le temps accablant les pans lourds des murs, sortant d’entre ces gigantesques galets glissant sous les minces expressions verdâtres de mousses frêles, quelques arbustes s’essayaient à une timide percée vers les horizons de lumière prometteurs, au-delà de ces pierres sur lesquelles reposait le souvenir érodé d’un royaume depuis toujours enterré sous l’oubli.
« Ce cœur, pareil au feu couvert… » continua, au loin, le chœur de ces lieux.
Les deux hommes s’engagèrent prudemment le long des remparts, longeant les jeunes pousses au son des grillons, sans y prêter attention, portant leur regard dans le noir couvrant la plaine qui s’étendait derrière les douves.
« Toute allégresse a son défaut, et se brise elle-même…
– Tu as entendu !? s’enquit enfin Marc en saisissant son cousin par l’épaule, l’oreille tendue vers l’étrangeté obscure.
– Entendu quoi ? Il n’y a que nous ici…
– Écoute ! Le silence… »
Mais il n’entendit que le silence. Marc demeura longuement les yeux clos, le doigt levé intimant à son compagnon de se suspendre parmi tout ce qui était en cours, placide et immobile, à écouter ce que l’autre ne pouvait entendre. Face à cette intimation, le cousin espérait, sans savoir à quoi s’attendre, une soudaine révélation éclairant les paroles de la nuit. Il garda le silence et guetta ce qu’il n’aurait su attendre. Car après quelques instants, Marc ouvrit les paupières et plongea un œil exalté dans celui débordant d’interrogations de son cousin. Constatant ce décalage (il s’attendait à une entente), l’expression de Marc se glaça pour rapidement s’enrager, pétrifiant du regard le jeune homme qui, ne manquant rien de cette mue, se tassait sous les effluves d’un courroux qu’il ne pouvait comprendre. Alors, sans quitter son cousin de ses yeux fins qui s’étaient soudainement assagis d’une inégalable teinte de délicatesse, Marc dit d’un murmure, se confondant avec celui de l’ombre :
C’est à voix basse qu’on enchante
Sous la cendre d’hiver
Ce cœur, pareil au feu couvert,
Qui se consume et chante.
Il empoigna son cousin et, d’une force herculéenne, le souleva de terre pour le projeter par les épaules au pieds d’un jeune olivier qui poussait contre la muraille. Lorsque le dos de l’homme s’écrasa contre le sol, poussé par la paume de Marc pressant sa poitrine vers la terre, le craquement assourdissant des os, pourtant étouffé par le sillon creusé dans la terre par l’impact du corps, se trouva presque masqué par la plainte déchirante qui accompagna le bruyant broiement.
Incapable d’articuler un mot, se tordant de douleur, le jeune homme jetait des regards désespérés à Marc qui s’était redressé et contemplait la paralysie dont il était l’auteur avec un effroyable calme. Alors, comme manifestant une sensible compassion au râle de l’homme se trouvant à ses pieds, l’olivier grinça, imperceptiblement d’abord, puis de plus en plus fort, si bien que le tronc, pour entretenir ces lamentations, en venait à se craqueler en tournant sur lui-même.
Marc recula de quelques pas et s’adossa contre l’une des rares pierres encore plates constituant le mur. Dans le lointain de ce lieu, en cette heure tardive de la nuit, les dernières lueurs du soleil continuaient à s’estomper sur l’horizon, soulignant de teintes orangées les reflets de lumière qu’entretenaient les ondées du vent dans l’océan de plaine s’étendant, impassible et désert, à perte de vue.
[...]
Les bancs du Confiteor: Texte
Les bancs du Confiteor: Fichiers
QU'EN PENSEZ-VOUS ?
Votre avis
Les bancs du Confiteor: Formulaire de commentaires
bottom of page