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LE SENS DE LA VIE

Octobre 2019

          Comprendre comme expression l’idée de « sens de la vie » et la question quotidienne qu’elle pose demande une précision des concepts forts autours desquels elle s’articule ; celui de sens, et celui de vie. S’il est toujours donné, décidé, c’est-à-dire attribué par une entité à une autre, le sens peut s’entendre en deux principales acceptions. Une première, qui désigne une prise de direction, et une seconde considérant une signification, ou plus précisément une justification.

     On distinguera alors le sens qui oriente (comme sur un chemin), indiquant un mouvement à suivre à partir d’une provenance et d’une direction déterminées, du sens qui définit une signification — en ce sens, le concept de « sens » prend une définition métonymique, dans la mesure où l’on définit en premier lieu le sens que prend un énoncé, avant de considérer plus largement ce terme comme décrivant la signification de celui-ci, comme la direction qu’il permet de donner à un raisonnement ; un raisonnement sensé, et ainsi censé orienter l’interlocuteur vers sa fin, par le biais d’une succession d’arguments. Le sens compris comme direction, de la sorte (pour ne pas dire « en ce sens »), désigne donc à la fois une orientation de la pensée (sa direction, son cheminement) et la succession des significations constituant la prospection de son projet (pro-jet ; jeté en antécédent du sens), c’est-à-dire la considération anticipée de sa fin, cette fois-ci comprise en tant que but et non plus seulement comme terme. Il apparaît dès lors qu’un questionnement sur un « sens » quelconque ne peut être compris indépendamment d’une réflexion sur la finalité, et l’on voit de la sorte comment la définition métonymique du sens comme signification est en premier lieu la recherche de justification d’un but particulier — autrement dit : une quête de finalité.

     Considérée indépendamment de son sens, la notion de « vie » appelle une considération plus simple. Si l’on s’en remet ce qu’en dit la biologie (qui est la science expérimentale n’ayant rien d’autre que la vie et ses manifestations comme objet), à partir de Cuvier, la vie est par principe un simple phénomène, négatif de la mort, se manifestant uniquement dans le présent de ce qui est vivant. Selon Pichot, dans son Histoire de la notion de vie, les progrès de la biologie jusqu’au darwinisme contraignent les scientifiques de ne pas définir la notion de vie et, selon le mot de Claude Bernard, de seulement devoir s’entendre sur ce qu’est cette notion de vie, ce souffle qui permet au vivant de se nourrir, de croître et de dépérir dont parle Aristote dans son traité De l’âme. En son sens le plus large, donc, la vie est à entendre comme mouvement et action.

     Or, selon cette très générale définition, il apparaît que l’expression d’un « sens de la vie » devient la question de la vie elle-même ; car en tant que mouvement et action, il ne reste plus qu’à déterminer la direction de ce mouvement, l’orientation de cette action. À partir de la définition aristotélicienne qui met l’accent sur la croissance, la réponse semble a priori fort simple : le sens de la vie serait de répondre aux besoins de sa croissance et aux appétits de son développement. Mais, précisément, les besoins changent, les volitions se modifient ; et ce mouvement vital, dont on pouvait en premier lieu ne se donner qu’une représentation physique dans le mouvement du corps, devient plus problématique considéré en tant que mouvement vers une finalité. Car si le questionnement sur le sens de la vie rend si perplexe, c’est du fait que, malgré les innombrables buts qui orientent nos actions au quotidien, jamais l’un d’eux ne parvient à être érigé en tant que but suprême, en tant que but unique. Ce qui est réellement problématique dans la réflexion sur le sens de la vie, c’est le constat de cette « finalité sans fin » de la vie en tant que phénomène naturel par excellence, pour reprendre l’expression de Kant à propos de la contemplation de la nature par l’homme dans la Critique de la faculté de juger : le constat de cette sublime fatalité selon laquelle la vie est vouée à la souffrance dans la mesure où la moindre des volitions constituant le mouvement vital, qu’elle soit satisfaite ou réfrénée, est vouée à l’éternelle insatisfaction de ne pas avoir atteint sa fin.

     Mais si les volitions sont ce qui engendre le mouvement vital, si le mouvement d’une vie est initié par ce qui veut, désire et agit, si, en outre, l’homme est toujours pris au piège par sa propre incapacité à saisir ce qu’il veut, à agir dans une direction donnée, dans quelle mesure la vie peut-elle continuer d’être un mouvement, continuer d’agir, d’avancer, de se développer ? En d’autres termes, si la vie consiste en un constant mouvement menant de but en but, de fins en fins, comment se peut-il qu’elle continue de procéder si elle évolue sans direction — vers un but sans but ?

     Dans un premier temps, nous essayerons de montrer comment la recherche d’un sens de la vie (notamment par une valorisation pratique, par l’action et le jeu, de la vie quotidienne) ne permet pas de résoudre la contradiction originelle des tendances de la volonté vitale, mais seulement de se libérer du douloureux constat de cette contradiction, s’accommodant d’une construction de sens comme d’un pansement en profondeur. Ensuite, nous préciserons comment une confrontation réelle de cette contradiction métaphysique de la volition (issue, nous le verrons, du principe d’individuation) permet effectivement de supprimer la souffrance de cet aspect contradictoire de la vie, mais par la négation de la vie elle-même ; supprimer la souffrance, autrement dit, mais en supprimant la vie — cette position nous amènera en fait au point culminant de la contradiction de la recherche d’un sens de la vie. Face au caractère insatisfaisant de cette brutale libération, nous essayerons dans un dernier temps de montrer comment la contradiction du sens de la vie réside en fait dans la considération métaphysique de l’essence de l’existence en tant que souffrance : il s’agira de voir que le seul moyen de dépasser la contradiction d’une vie dénuée de sens doit partir d’un dépassement du besoin même de justification impliqué par la problématique métaphysique sur l’étant individuel. Nous verrons dans ce troisième temps, en d’autres termes, comment la vie, considérée comme puissance créatrice atélique et non seulement comme mouvement temporel (ayant début, orientation télique, puis fin), permet non seulement de dépasser la souffrance liée au constat d’une absence de sens, mais également de se placer dans un contexte réflexif n’ayant plus aucun besoin de déterminer un sens de la vie.

     Il s’agira donc, dans ce qui suit, non seulement de démontrer qu’il n’y a aucune souffrance à tirer du non-sens de la vie (dans le cas où ce questionnement aurait bien une légitimité), mais plus encore de souligner en une certaine approche de la vie la possibilité d’écarter tout bonnement la nécessité de la quête d’un sens de la vie, sans dommage, faisant de cette recherche même (et non seulement de son objet) un non-sens.

[...]

Le sens de la vie: Texte

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Le sens de la vie (15 p.)

Le sens de la vie: Fichiers

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